Palais Borghese, Rome, 1547.

- Qu’on lui coupe la tête !

Rosalina le regarda avec mépris. Comment avait-il osé ? Il l’avait trahie et maintenant il venait réclamer le pardon en disant ce qu’il avait dit. Elle regarda par terre, ses longs cheveux blonds tombant gracieusement sur son front en une boucle parfaite. Puis elle releva la tête, perçant de ses yeux bleus le visage de son adversaire, le Duc de Reims. Il était français. Exilé de son pays natal, il avait choisi l’Italie comme refuge. C’est tout naturellement que la famille Caparelli l’avait hébergé, n’ayant même pas demandé les circonstances de son exil. Mais Rosalina se dit qu’ils auraient du. Ils auraient du lui demander, ils auraient du le renvoyer autre part, sans quoi rien de tout cela serait arrivé, sans quoi elle ne serait pas là, assise sur son trône, à ordonner qu’on le décapite ! Elle fit un signe de la tête aux gardes qui le tenaient par les deux bras de l’emmener au cachot. Elle, elle se leva et sortit de la salle du trône. Elle ne ressentait rien d’autre que de la colère, de la haine, et de la soif. Elle toucha son cou qui avait cicatrisé et rabattit son bras brusquement contre son corps. Elle avait cette grâce et cette élégance que seules les princesses possèdent dans tous ses gestes qui la rendait énigmatique et mystérieuse. Marchant droit, ne regardant rien d’autre que ce qui pourrait se trouver en travers de son chemin, elle se mit toutefois à courir, sa longue robe blanche volant derrière elle. Esssouflée, elle arriva au bout du palais, dans son coin secret. Le palais, qui s’apparentait à un temple romain donnait directement sur un grand étang. Elle s’assit sur la dernière marche du palais, trempant avec difficulté ses pieds dans l’eau, sachant ce qui, désormais, avait coulé dedans puis plongea son regard dans l’eau, espérant ne pas y rencontrer le regard d’une des nombreuses personnes qu’elle avait sauvagement tué lors de sa transformation et qu’elle avait lâchement coulé dans l’eau pure de l’étang. Une larme coula sur sa joue pâle et elle se hâta de l’essuyer. Elle regarda son reflet se dessiner dans l’eau, à présent troublée par la mort qu’elle tenait en son sein. Elle regarda ses yeux, elle regarda la pâleur de son teint, elle regarda le rouge de ses lèvres se distinguer de la blancheur de sa peau et de sa robe de toile blanche décorée de dorures ça et là.

Et tout à coup, une brume grisâtre apparut derrière le reflet de Rosalina. Elle regarda avec attention la forme nuageuse se regroupée pour former l’homme qu’elle venait de condamner. Ses yeux s’ouvrirent grand et elle voulut se retourner, mais elle était paralysée par un sentiment de peur. Il était sensé être mort. Que faisait-il là ? Il posa une main sur l’épaule dénudée de la jeune femme qui frissona.

- Surprise ! Je t’avais bien dit que tu ne réussirais pas à te débarrasser de moi comme ça…

Rosalina soupira et leva les yeux au ciel.

- Peut-être que je n’ai pas réussis à te faire décapiter ! Mais que penses-tu que les gens vont dire lorsqu’ils verront que, malgré mon ordre, tu es toujours vivant ? Maintenant, vas t’en si tu ne veux pas qu’on te capture à nouveau. Tu ne joue vraiment pas à mon niveau…

Le duc parut un peu déconcerté pendant un instant. Puis Rosalina se releva, se retrouvant face à face avec l’homme qui l’avait changé en ce monstre qu’elle était à présent devenue. Lui adressant un regard de mépris, elle le poussa à s’écarter pour la laisser passer.

- Rosalina ! Attend !

Rosalina arrête de marcher et se retourna vers son interlocuteur.

- Qu’est-ce que tu veux, François ?

Un sourire narquois se dessina sur le visage malveillant de François de Reims et, Rosalina, se plongeant dans les pensées du Duc, devina tout de suite ses intentions. L’expression de son visage passa du mépris à la frayeur et elle se mit à courir aussi vite qu’elle le pouvait, à travers la forêt qui entourait le palais, suivie de près par le duc de Reims. Et puis, arriva ce qu’il devait arriver, elle se prit le pied dans une branche qui s’avérait être, en fait, un piège du duc de Reims qui avait tout prévu. Avant qu’elle n’ait pu esquisser le moindre mouvement, une flèche se planta droit dans son cœur, une flèche de bois, arme fatale pour les vampires. Rosalina s’effondra sur le sol, tombant à la renverse face à l’assaut de cette flèche imprévue. La dernière image qu’elle vit, ce fut celle du duc de Reims, de son sourire narquois et satisfait : il avait gagné

- Non, je regrette, je ne peux pas !

La voyante se leva brusquement de sa chaise et détourna son regard de la jeune femme. Elle prit sa tête dans ses mains en signe de désespoir. Ce qu’elle avait vu… était horrible ! Comment imaginer que la princesse Rosalina pourrait faire des choses pareilles ! Elle n’avait que seize ans, ressemblait à un ange avec ses longs cheveux blonds ondulés et son regard candide. Elle se retourna vers la princesse italienne, les yeux effrayés.

- Quoi ? Qu’y a-t-il ? demanda Rosalina.

La voyante se rassit et, regardant la princesse dans les yeux :

- Vous allez…. Dans quelques années, vous allez faire la rencontre d’un homme. Il sera séduisant, très séduisant, mais ne succombez pas à ses charmes ou sinon….
- Sinon ?
- Il vous tuera.

La princesse, offusquée, se leva, regardant avec dégout la vieille voyante. Comment pouvait-elle oser dire cela à la femme la plus importante du Piémont ? Rosalina voulut alors sortir de la caravane de la voyante mais la porte avait été fermée à clé par celle-ci.

- Laissez-moi sortir, gueuse !
- Non, vous devez m’écouter ! Si vous rencontrez cet homme, ne lui adressez pas la parole !
- Mais de qui parlez-vous, folle ?
- Du duc ! Du duc !
- Duduc ? Mais qui est donc ce Duduc ?
- Le duc ! Il viendra dans quelques années réclamer ton aide ! Mais tu ne devras pas l’aider ! dit-elle en s’accrochant à la robe de soie de la jeune fille.

Rosalina donna une claque à la voyante et la regarda avec mépris.

- De quel droit osez-vous me tutoyer et toucher mes vêtements ? Maintenant, laissez-moi sortir, je l’ordonne.

La voyante releva la tête, appuya sur le loquet et la porte s’ouvrit. Rosalina sortit gracieusement de la caravane, sans se retourner, furieuse.

- Il vous transformera ! cria la voyante.
- Taisez-vous, vieille folle….
- En vampire !

Rosalina s’arrêta. L’Italie du 16ème siècle était très connue pour sa superstition anti-vampirique. Plusieurs massacres avaient eu lieu contre des prétendus vampires. La princesse se retourna, regardant avec horreur la femme qui se tenait dans l’ouverture de la porte de sa petite caravane de bois.

- Et vous allez tuer des tas d’innocents pour assouvir votre soif ! Vous comprenez, maintenant, princesse ?

Rosalina esquissa un sourire narquois.

- Vous voulez que je vous dise votre avenir, sorcière ? Dans une heure, deux gardes viendront vous chercher, ils vous emmèneront au Palais et demain matin, à l’aube, vous serez exécutée.

La voyante ouvrit grand les yeux, on pouvait lire de la peur dans son regard chafouin. Rosalina, satisfaite, s’en alla au Palais. Elle grandit parmi les maîtres italiens. Son père, mort alors qu’elle était plus jeune, lui avait laissé le trône, mesure exceptionnelle, le temps qu’elle trouve un mari. Elle grandit donc avec de grandes responsabilités qu’elle utilisa à son gré. Et puis, un beau jour, un Duc se présenta au Palais. Il était grand, sculpté comme un dieu grec. Un regard ténébreux mais charmant, et un sourire de séducteur. Rosalina, qui se rappelait pourtant la prédiction de la voyante, ne put faire autrement que de l’accueillir chez elle. Il avait été, d’après ce qu’il lui avait dit, exilé de son pays natal : la France. Pendant plusieurs jours, il la courtisa et finit par l’avoir.

Il faisait nuit au Palais Borguese de Rome. Rosalina était adossée à l’une des colonnes qui tenait le fronton du palais. Face à l’étang que le palais surplombait, elle regardait les étoiles se refléter dans l’eau. Ses longs cheveux blonds ondulaient en cascade sur son dos nu. La robe qu’elle portait était attachée derrière son cou, sous ses cheveux, laissant apparaître la peau douce de son dos succulent. Une main se posa sur son épaule dénudée. Elle était froide, glaciale. Rosalina se retourna en sursaut et sourit lorsqu’elle vit qu’il s’agissait du duc.

- François, vous m’avez fait peur…
- Désolé, madame.

Rosalina s’approcha de lui, posa sa main sur sa joue et l’embrassa. Il lui rendit son baiser, passant sa main dans ses cheveux, jusqu’à toucher la peau nue de son cou. Il l’embrassa, sur la joue, sur le cou et, sans transition, il planta ses dents dans sa peau tendre, aspirant lentement son sang. Rosalina ferma les yeux et poussa un gémissement de plaisir. La main du compte se posa sur le dos doux e la jeune femme qui en frissonna. En même temps qu’il buvait son sang frais, il extirpait de la princesse sa vie, son âme. Son teint se blanchit, ses lèvres rougirent, quant à ses yeux, ils devinrent noirs, noir de fureur. Lorsqu’il eut finit, il regarda son œuvre. Rosalina Caparelli était à présent un vampire. Et elle avait soif.